EDIT MODO : Topic ajouté au Récapitulatif Les débats. Ne pas effacer merci
Hello tout le monde,
Vu que l’ancien topic sur le féminisme (qui se trouve ici pour ceux et celles qui voudraient lire les anciennes conversations) a rendu l’âme après 106 pages de bons et loyaux services on va le reprendre ici, et vu que le post d’ouverture a disparu on va en refaire un tout beau tout propre tout fringant.
On va commencer par un plan, parce que ça va être long (pour naviguer, vous pouvez utiliser la commande Ctrl + f qui permet de faire une recherche):
PREMIER POST
I) Définition du féminisme
II) Lexique et notions
III) Les différents courants de la pensée féministe
DEUXIÈME POST
IV) La Foire aux questions
- Le féminisme est-il encore nécessaire aujourd’hui ?
- Les différences entre hommes et femmes ne sont-elles pas justifiées par la Nature ?
- Pourquoi le nom « féminisme ? N’est-ce pas un nom sexiste ? Égalitarisme / Anti-sexisme / Humanisme / autre truc en -isme ne serait-il pas un nom plus juste ?
- Vous voulez prendre la place des hommes / Vous haïssez les hommes ?
- Oui, mais quand même. Et les hommes alors ?
- Vous voulez faire disparaitre le sexe pour qu’on soit tous hermaphrodite / semblables !
- Et la théorie du genre alors ?
- Certains combats (Disparition du mademoiselle des formulaires administratifs, modifications de l’orthographe etc.) ne sont-ils pas accessoires ? N’est-ce pas voir le mal partout ?
- N’y-a-t-il pas des combats plus importants (faim dans le monde, fin du capitalisme, plus de frites à la cantine etc.)?
- C’est pire ailleurs, ici les choses vont à peu près bien non ?
V) Liens utiles, conseils de lecture, d’écoute et de visionnage. Évènements ayant pour thème le féminisme ou les femmes.
VI) Rappels des règles du forum et des règles spécifiques à ce topic.
Le féminisme, donc. Ou même les féminismes, tant les courants qui le composent sont variés et tant certains sujets sont source de discussions houleuses et de désaccords profonds entre théoricien·ne·s et/ou militant·e·s (le voile ou la prostitution par exemple).
Paradoxalement et bien que la plupart des gent·e·s connaissent le mot, peu savent réellement ce qu’il veut dire, on va donc commencer par une définition la plus large possible afin d’y englober tous les courants.
Qu’est-ce que le féminisme ?
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Le féminisme désigne une perspective politique (au sens : gestion et organisation de la cité) reposant sur la constatation que les femmes subissent une injustice sociale systématique et spécifique parce que femmes ainsi qu’une position subordonnée dans une société donnée, et sur l’idée qu’il est possible ET souhaitable de redresser (voire de détruire) cette injustice par la lutte individuelle et/ou collective.
Si ses racines les plus anciennes peuvent être remontées jusqu’au XVe siècle avec les écrits de la philosophesse Christine de Pisan, ce n’est qu’au XIXe qu’il a donné lieu à des mobilisations collectives et structurées dans la plupart des pays occidentaux, qui aboutiront à des victoires qualifiées aujourd’hui « d’historiques » (droit de vote, reconnaissance du viol et des violences conjugales, droit de travailler sans l’accord de son mari et pour son propre compte, égalité entre les conjoints au sein du couple, contrôle de la fécondité et des naissances etc.).
Une fois ce constat posé, les différents courants féministes divergent. Que ça soit sur les causes de cette subordination ou sur les manières d’y mettre fin.
Il ne s’agit donc pas :
- D’un mouvement visant à la suprématie féminine / à mettre en place un matriarcat,
- De vouloir « prendre la place des hommes », mais de vouloir l’égalité (et donc que ni les hommes ni les femmes n’aient de « place » attribuée en fonction de leur sexe / genre dans la société),
- D’un mouvement constitué uniquement ou presque de célibataires endurcies (pour le dire poliment) et/ou de lesbiennes et/ou poilues et/ou sans humour et/ou violentes et/ou hystériques.
(On pourrait d’ailleurs relever le caractère sexiste et/ou homophobe de pas mal de ces affirmations)
Concepts clés et définitions
(N'hésitez pas à compléter, à ajouter des remarques ou à me faire remarquer que j’ai dit une grosse ânerie):
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Genre
Avertissement: C'est à la fois la partie la plus longue et la plus complexe du post, donc si vous galérez n'ayez crainte, le reste est beaucoup plus simple. Et si vous avez des questions / des remarques n'hésitez pas à les poster.
Définition express : Dans un premier temps associé au « sexe social », le genre a ensuite été défini comme un rapport social hiérarchique divisant l’humanité en deux moitiés inégales. Le genre définit ainsi le sexe, qui ne peut plus être considéré comme une réalité physique indépendante de nos pratiques sociales. Ces analyses ont ouvert la voie à une multitude de courants politiques prenant le genre et ses effets pour cible.Définition pas express
Le concept de genre est assez difficile à définir (et très long du coup, désolée par avance), car son sens a évolué depuis les premières « gender theories » apparues aux États-Unis dans les années 80. Évidemment, les premiers questionnements sur le caractère « naturel » des rapports entre les femmes et les hommes ou sur leurs « tempéraments respectifs » sont bien plus anciens que ça (on peut par exemple penser à Mœurs et Sexualité en Océanie de Margaret Mead, publié dans les années 30, qui a rompu le lien que l’on pensait naturel entre sexe et tempérament), mais avant cela on avait plutôt tendance à parler de feminist studies ou de women’s studies, termes que l’on rencontre encore aujourd’hui, notamment au Canada.
Du coup, on va faire un petit historique des usages et les mutations du mot, et ce de manière chronologique.
Le genre comme « sexe social »
Dans un premier temps (dans les années 60-70), le terme « genre » a servi à désigner les différences entre les hommes et les femmes qui n’étaient pas directement liées à la biologie. Si le terme « sexe » peut lui aussi servir à recouvrir des réalités sociales (ou des fantasmes d’ailleurs, comme la « guerre des sexes » que l’on accuse sans cesse les féministes de vouloir déclencher…), le terme genre a ceci d’original qu’il permet d’appréhender le social comme un domaine autonome, dont les causes n’ont rien à voir avec la biologie. Il s’agit là d’une rupture et d’une critique féministe majeure, la nature servant souvent à justifier les inégalités. Au contraire, l’étude et la mise en avant de l’Histoire permettent d’en faire ressortir le caractère arbitraire, et donc en facilite la critique et la remise en cause.
On peut ici penser aux travaux de Mead cité plus haut, au fameux « on ne nait pas femme, on le devient » de Simone de Beauvoir (on « nait » femelle et on « devient » femme), ou encore aux travaux d’Ann Oakley qui affirment et précisent la partition entre sexe et genre. Le premier renvoie à la distinction biologique entre mâles et femelles, tandis que le second renvoie à la distinction culturelle entre les rôles sociaux, les attributs psychologiques et les identités des hommes et des femmes. Le premier est ici invariant, tandis que le second est attribué par la société et l’éducation et peut être modifié par l’action politique. Le concept de genre permet de lever le voile sur la production et la reproduction de la différence entre les sexes dans des domaines aussi différents que l’école, la famille ou le travail.
La plupart des gens utilisent ce sens du mot genre, et il faut dire que vu certaines mentalités il est déjà porteur d’une bonne dose de scandale (que les femmes soient à la maison à faire la vaisselle pendant que les garçons jouent avec des petits camions c’est la natûûûûre voyons !), cependant se limiter à ce sens est extrêmement réducteur.
Vers une nouvelle conception des rapports entre sexe et genre
Désolée par avance mais cette partie est un peu difficile à comprendre, surtout la sous-partie sur la notion de sexe (le gros morceau est mis entre spoiler, et je vous recommande de le passer si vous êtes jeunes ou si vous voyez que vous avez du mal parce que vous risquez de vous faire assommer. J’ai fait de mon mieux pour rendre ça clair, mais ce n’est pas évident. Du coup si vous avez des idées de clarification / des questions elles sont les bienvenues.
Si le genre comme sexe social a été une première étape indispensable à la critique féministe, cette dernière s’est retrouvé prise dans une seconde : « lorsque l’on compare le genre et le sexe […] on compare du social à du naturel ; ou est-ce que l’on compare du social avec encore du social ? », nous demande ainsi Christine Delphy dans L’ennemi Principal : Penser le genre.
En effet, la division stricte entre mâles et femelles est encore vue comme naturelle et ce serait la société qui, par la suite, viendrait y greffer domination et stéréotypes. On conservait l’idée d’un sexe biologique « vrai », pré-social voire non-social.
Paradoxalement, on restait embourbé dans l’idéologie biologique. Si le genre est seulement la « part sociale » d’un individu, alors il existe une seconde part, antérieure, indépendante des constructions humaines, susceptible de se plier à la construction sociale. La nature, vu comme matériau de base, réaffirme ainsi sa domination sur la culture, qui n’en serait qu’une dégradation à postériori (un peu comme une broche n'est que la version "travaillée" d'une plaque de métal, histoire de faire une analogie).
Des travaux viennent renforcer cette remise en cause, parmi lesquels La fabrique du sexe, publié en 1990. Thomas Laqueur y montre que l’idée actuelle que l’on se fait du sexe (une dualité biologique) est en réalité très récente, ne datant que du XVIIIe siècle. Auparavant, dans l’Antiquité et au Moyen-Âge par exemple, les hommes et les femmes étaient réparties selon un axe unique, une sorte d’échelle graduée de la pureté métaphysique (le fait d’être plus « pur » d’un point de vue religieux en gros), avec évidemment les hommes tout en haut. La forme des organes génitaux était avant tout une convention, et la manière dont nous les abordons ne s’est élaborée que plus tard, au XVIIIe siècle. Cette nouvelle façon d’appréhender le sexe est celle que nous avons actuellement : une divergence biologique radicale, faite de deux réalités de nature totalement différentes.
Suite à ces travaux s’observe un changement notable : non seulement le genre n’est pas déterminé par le sexe, mais le sexe non plus n’est plus appréhendé comme une réalité naturelle, mais devient lui aussi social.
Le pont vers la troisième définition du genre, telle que formulée par Delphy était en marche : le regard se déplace des parties divisées vers la division elle-même. Pour elle, le genre n’est pas simplement un rôle de sexe individuel, mais un système qui produit ces sexes comme deux réalités sociales distinctes et étanches : le genre précède le sexe, et non l’inverse.
Voilà. Donc là normalement c’est le moment où vous tirez une tête bizarre en vous disant quelque chose comme «mais ils ont pété un boulon c’est pas possible», «théorie du djendeur», «intellectuels coupés du monde qui font des théories sans queue ni tête».
Du coup il va falloir faire une définition dans la définition et donc un spoiler dans un spoiler dans un spoiler :
Mais de quoi parle-t-on lorsqu’on parle du sexe, au juste ?
Il ne s’agit évidemment pas de nier l’existence de l’anatomie ou de la biologie, mais de dire que les hommes et les femmes ne sont pas définis en tant que tels, comme deux groupes existant naturellement, mais sont au contraire construit socialement par un rapport d’opposition. Autrement dit, à partir de réalités anatomiques parfois ambigües (les personnes naissant intersexués étant assignées de force à la naissance comme « homme » ou « femme », sur des critères pour la plupart arbitraires), le « sexe » sert de marqueur de la division sociale qui fait exister les hommes et les femmes comme groupes aux propriétés contraires. Nous avons fait d’une différence anatomique en elle-même dépourvue d’implications sociales une division étanche des rôles sociaux.
Bref, entrons dans le vif du sujet, du coup passage en mode pavé véner:
Soit. Mais cela n’entre-il pas en contradiction avec la réalité biologique ? Les différences corporelles entre hommes et femmes sautent aux yeux, et il semble absurde de les réduire à une expression sociale.
Lorsque l’on parle de « sexe », on glisse fréquemment d’une notion anatomique / physique (les organes génitaux mâles ou femelles) à une extension à l’individu entier : nous identifions des groupes de personnes à leurs attributs génitaux. Lorsque l’on parle des « deux sexes », ce n’est pas des organes génitaux mâles et femelles que l’on parle, mais des hommes et des femmes, caractérisés par ces derniers : la partie est devenue le tout.
Mais au fait, que cherche-t-on à faire lorsque l’on essaie de déterminer le sexe d’une personne ?
Historiquement, déterminer le sexe n’est pas aussi simple qu’il n’y parait. Il arrive que les parties génitales d’un individu soient indéterminées, et nombreux·euse·s sont les auteur·trice·s à souligner le grand nombre de critères à prendre en compte pour établir le « vrai sexe » d’une personne : la forme des organes génitaux (pénis / vagin), les gonades (testicules / ovaires), les hormones (testostérone / œstrogènes)… Mais plus on affine l’enquête, plus la manière de diviser l’humanité en deux groupes étanches se dérobe : aucun de ces critères ne permet de donner une définition sûre du sexe (il existe toujours des individus « indéterminés »), et les critères utilisés varient selon l’histoire et les sociétés.
Un bon exemple de cela est le CIO (Comité International Olympique), qui jusqu’en 1968 demandait aux athlètes de défiler nuEs devant un comité, dont le rôle était de certifier qu’elles étaient bien des femmes. Si généralement la présence d’un vagin et d’une poitrine suffisait à obtenir un « certificat de féminité », il restait toujours des cas ambigus, aussi se mit-on en quête de preuves plus « scientifiques », génétiques puis hormonales, mais sans jamais empêcher la survenue de cas difficiles…
De la même manière, lorsqu’un enfant au sexe indéterminé nait, les chirurgiens peuvent prendre en compte des critères autres que la génétique et préférer des marqueurs de conformation à des rôles de genre, tels que la capacité à porter des enfants (considéré comme LE critère de la féminité), la taille des organes génitaux (LE critère de la masculinité au contraire), la capacité à uriner debout, à pénétrer ou à être pénétré etc… Des critères arbitraires, puisque l’on parle d’individus possédant des caractéristiques des deux sexes (en quoi avoir un utérus est-il plus « féminin » qu’avoir des ovaires ?) et pour certains clairement subjectifs. Ainsi, les analyses portant sur l’inter-sexuation montrent comment les sexes indéterminés sont reconstruits ou assignés en fonction non de la biologie de l’enfant, mais de la nécessité sociale de distinguer les hommes et les femmes.
Ces analyses permettent de montrer comment les sexes sont construits, parfois jusque dans leur forme même, par les normes du genre. Cependant, la mise en évidence de cette logique normative ne permet pas de répondre à ce que l’on entend par « sexe » lorsqu’on cherche à le déterminer. Car aujourd’hui, on tend à penser que ce que l’on désigne sous ce mot est en réalité un ensemble de données, et qu’il n’y a pas un élément qui permet seul de considérer que l’on soit mâle ou femelle. Le sexe ainsi redéfini englobe un ensemble de marqueurs (chromosomiques, gonades, hormones, organes génitaux internes et externes…), mais aussi de caractéristiques physiques secondaires (poitrine développée, pilosité…) et de capacités particulières (porter des enfants, pénétrer…). Leur existence biologique est incontestable, mais ne suffisent pas à déterminer le sexe en tant que tel, et donc à conclure qu’il y a bien deux sexes opposés, car si ces données sont d’ordre biologique, le travail par lequel elles sont liées et unifiées ensemble est en revanche social : aucun marqueur pur et prêt à l’emploi du sexe d’un individu n’existe, il n’y a que plusieurs indicateurs, plus ou moins liés entre eux, et dont la plupart sont des variables continues (un dégradé entre deux points plutôt qu’une division pure). Or, réduire tous ces indicateurs à un seul pour obtenir une classification binaire est un acte social.
Le sexe est donc le résultat d’un double processus par lequel un ensemble de données continues et hétérogènes sont unifiées et réduites à une seule, elle-même transformée en réalité binaire. Ce travail d’institution du sexe, dans sa naturalité et son unicité, ne peut se comprendre qu’en rapport au rôle joué par la biologie en tant que discipline scientifique.
En effet, cette dernière est culturellement située, caractéristique de notre manière de penser la dichotomie nature /culture. La biologie est une science de la « nature », tandis que les sciences sociales analysent la « culture », qui est vue comme accessoire. Dans les oppositions sexe/genre, nature/culture et biologique/social, le premier terme semble du côté du vrai et du solide, et le second du côté de ce qui est construit, et donc mis en opposition avec le « vrai ». De ce fait, lorsque la biologie prend le sexe pour objet, elle renforce nécessairement l’opposition dans laquelle la notion de genre se trouve prise : le sexe se trouve naturalisé en tant qu’objet scientifique, car les sciences naturelles construisent des objets comme naturels par le simple fait qu’elle les étudie. Le sexe apparait ainsi d’autant plus difficile à questionner qu’il est saisi par une discipline chargée de simplement « découvrir » et élucider la nature, et non de la construire.
Pourtant, lorsqu’elle analyse le sexe, la biologie contribue aussi à le construire comme réalité homogène et pertinente à partir de données hétérogènes – homogénéité qui n’a de sens que dans le cadre d’un système de division hiérarchisé du monde social : le genre.
Comprendre la biologie comme discipline, c’est comprendre la manière par laquelle elle installe et naturalise les cadres qu’elle crée pour étudier un vivant bien plus nuancé et complexe. C’est déplacer le regard des objets de la biologie – présupposés naturels – vers l’activité scientifique qui la caractérise en tant que discipline : tracer des frontières (le sexe, l’espèce, la race fut un temps, d’ailleurs si vous trouvez le raisonnement tordu l’analogie avec cette dernière peut vous aider à mieux comprendre) et leur accorder de la pertinence.
Le sexe n’est pas une catégorie physique isolable des actes sociaux par lesquels nous le constituons en réalité pertinente et visible de nos pratiques. Mais si les corps sont en permanence sexués, c’est non seulement au sens où leurs différences sont rendues pertinentes par la division hiérarchique de la société entre les hommes et les femmes, mais c’est aussi au sens où ils sont rendus physiquement conformes aux caractéristiques qui définissent pour nous les sexes (les intersexués cités plus tôt mais pas uniquement, les « attentes » sociales par rapport aux corps des hommes et des femmes modifiant les comportements de ces derniers. Un exemple simple : on ne fait pas faire les mêmes sports aux petits garçons qu’aux petites filles, pas dans les mêmes proportions, et pas jusqu’aux mêmes âges. Cela va modeler des corps différents, différences qui finissent par être vues comme naturelles). C’est à ces deux égards au moins qu’on peut affirmer, avec plus de rigueur : le genre construit le sexe.
La distinction sexe / genre nécessite d’être repensée à l’aune de la reformulation du concept de genre. En effet, si le genre n’est pas le sexe social mais le principe de division qui institue les sexes, alors il devient difficile d’opposer le genre au sexe comme ce fut le cas dans les premières luttes féministes. Et c’est justement ce à quoi s’attaque la troisième partie
Le genre comme rapport social et diviseur
Ainsi, la notion de genre ne désigne plus simplement les stéréotypes construisant les hommes et les femmes de manières différentes, mais le principe même organisant ces normes et les droits inégaux qui en découlent. Le genre ne construit plus les sexes, il construit le sexe, tel que défini plus haut.
De ce fait, parler des genres (au pluriel) pose problème, puisque créant une confusion entre les deux usages du mot, l’un renvoyant au « sexe social » défini plus haut et séparable du sexe biologique, et l’autre au rapport social divisant la société en deux moitiés inégales. L’usage du singulier permet de souligner l’idée que le genre est un diviseur produisant deux sexes construits comme opposés : les hommes et les femmes. Les parties divisées ne sont plus l’explication, mais ce qui est à expliquer.
Or, pour rendre compte précisément des parties divisées, il faut pouvoir analyser le système dans lequel elles s’ordonnent. Il ne suffit donc pas de déplacer le regard sur le principe de partition, il faut aussi analyser comment le genre divise l’humanité en deux groupes distincts et hiérarchisés. C’est à ce titre que pour les féministes matérialistes, le genre peut être pensé comme synonyme des mots « patriarcat » (voir plus bas) ou « oppression des femmes ». Il renvoie à un rapport social marqué par le pouvoir et la domination, et dont il faut repérer les bénéficiaires et les opprimés dans le même mouvement analytique.
Dans ce contexte, l’idée de nature ne constitue pas seulement une erreur, mais une pièce maitresse de l’oppression des femmes. Elle prend deux formes : d’une part, l’idée que cette dernière serait due à la nature, mais aussi l’idée que les femmes seraient plus « naturelles » que les hommes (par exemple avec l’idée que les femmes sont plus instinctives, qu’elles sont le corps quand les hommes sont l’esprit etc).
Car si la Science est censée avoir rompu l’idée que la nature a des intentions, un but et une finalité, sa réception sociale ne se gêne pas pour lui en donner. D’un déterminisme cosmique, nous sommes passé à un déterminisme interne : non seulement chaque objet a un but, mais en plus est organisé pour faire ce qu’il fait, être là où il est. C’est sa « nature », devenue idéologiquement encore plus contraignante. Selon Guillaumin, c’est parce que les femmes sont appropriées, et donc constituées comme choses, qu’elles peuvent dans le même temps être perçues comme naturelles : le fait d’être traité en chose matériellement faisant aussi de vous une chose dans le domaine mental.
Sources et ouvrages cités:
Mœurs et sexualité en Océanie Margaret Mead
Sexe, genre et société Ann Oakley
L’ennemi principal : Penser le genre Christine Delphy
Trouble dans le genre Judith Butler
Par-delà nature et culture Philippe Descola
La fabrique du sexe Thomas Laqueur
Pour aller plus loin :
http://www.alterecoplus.fr/le-genre-une-notion-qui-derange/00012295 Le genre, une notion qui dérange. Alternatives économiques.
http://www.scienceshumaines.com/les-gender-studies-pour-les-nul-le-s_fr_27748.html Les gender studies pour les nul·le·s. Magazine sciences humaines.
https://lejournal.cnrs.fr/dossiers/precieuses-etudes-de-genre Précieuses études de genre. CNRS le Journal.
http://www.laviedesidees.fr/Genre-etat-des-lieux.html Entretien avec Laure Bereni, co-autrice d’introduction aux études sur le genre. La vie des idées.
http://www.revue-emulations.net/archives/15-la-construction-scientifique-des-sexes/entretien-avec-rebecca-jordan-young La construction scientifique des sexes, entretien avec Rebecca Jordan Young. Revue Émulations.
https://lejournal.cnrs.fr/articles/combien-y-a-t-il-de-sexes Combien y’a-t-il de sexes ? CNRS le Journal
http://www.nature.com/news/sex-redefined-1.16943 Sex Redefined. Revue Nature (Anglais)
https://www.cairn.info/revue-sociologie-2012-3-page-299.html Genre à la Française ? Débat entre Christine Delphy, Pascale Molinier, animé par Isabelle Clair et Sandrine Rui. Revue Sociologie.
http://ses.ens-lyon.fr/articles/entretien-avec-christine-detrez-autour-de-la-notion-de-genre Entretien avec Christine Detrez autour de la notion de genre.
http://www.cairn.info/revue-journal-francais-de-psychiatrie-2011-1-page-25.html Les féminismes, ou le débat du sexe et du genre. Sylvie Cadolle. Journal Français de Psychiatrie.
Sexisme
Mot crée sur la base du mot « racisme ». Attitude de discrimination basée sur le sexe, au détriment des femmes.
Pour Blais, il s’agit d’un « Schéma voulant que l'humanité soit divisée en deux sexes complémentaires mais inégaux ».
Le sexisme entraine une différentiation sociale : il crée des différences à partir de ce qui est semblable (l'humanité) dans le but de hiérarchiser. Le pouvoir est à la source de la différentiation sociale. Pour justifier l’inégalité entre les humains, il est nécessaire de différentier les tâches, afin d’avoir un groupe qui va exécuter le travail et un qui va se l'approprier. Cette différenciation inégalitaire sera camouflée derrière des justifications naturalistes et/ou de complémentarité.
Pour Butler, le sexisme est « un modèle où on prétend l'existence d'un sexe stable qui est nécessaire pour que le corps fasse corps ». Le sexe est associé à un genre : femme/féminin, homme/masculin. On assiste à la « stylisation répétée des corps, une série d’actes répétés à l’intérieur d’un cadre régulateur plus rigide, des actes qui se figent avec le temps de telle sorte qu’ils finissent par produire l’apparence de la substance, un genre naturel de l’être. »
Par exemple pour la musculature : les hommes et les femmes ne font pas les mêmes sports, et ne pratiquent de toute façon pas cette activité dans les mêmes proportions ni avec le même but. Cela augmente voire crée des différences qui, répétées de génération en génération, finissent par apparaitre comme naturelles.
Le sexisme est institutionnalisé, lié à des normes. C'est un schéma véhiculé dans le langage, dans des lois, des théories. Il s’agit également d’un système punitif : ce qui est hors genre est discriminé et/ou considéré comme pathologique.
Pour Virginia Valian : il existe des schémas genrés différents entre les femmes et les hommes qui produisent des effets genrés.
Par exemple, les femmes expérimentent le déni de la parole publique : on ne les écoute pas, on les interrompt, leur parole a moins de valeur. Elles vont finir par trouver coûteux de prendre la parole, et donc par moins le faire. À l'inverse les hommes expérimentent l'intérêt de la parole publique : estime de soi, prestige, en conséquence de quoi ils vont plus parler, auront plus d'influence, serviront d'exemple pour d'autres hommes.
On peut également penser à des expériences qui avaient été menées sur la manière dont des adultes réagissaient à des nouveaux nés en fonction du genre annoncé (qui n’était pas le sexe « réel » de l’enfant), et qui répondait déjà à ces stéréotypes (une petite « fille » qui pleure est triste, un petit « garçon » est en colère…). On a également montré qu’un CV féminin était perçu comme moins compétent qu’un CV masculin identique, etc.
Patriarcat
Système de subordination des femmes qui consacre la domination du père sur les autres membres de la famille. Par extension, désigne un modèle de société où est institutionnalisée la domination des hommes sur les femmes dans les sphères politiques, culturelles, économiques et sociales, et l’appropriation des corps et du travail de ces dernières.
On parle aussi parfois d’hétéropatriarcat pour désigner le système sociopolitique dans lequel les hommes, le masculin et l’hétérosexualité dominent les autres genres et orientations sexuelles.
Paternalisme
Rapport social d'échange, où on troque de la protection contre des services subordonnés, de l'obéissance et une volonté de se soumettre aux désirs et à la volonté de l’autre. Peut mener à exercer un contrôle sur l'autre, « pour son bien ». Entraine une perte d'autonomie.
Phallocratie
Domination sociale, culturelle et symbolique exercée par les hommes. Survalorisation sociétale des symboles masculins. Système de pouvoir, politique, idéologique et de domination par les « porteurs de phallus » sur des personnes qui n'en possèdent pas. Renvoie à des référents anatomiques, des traits physiologiques, qui servent de marqueur social.
Les discours antiféministes sont parfois phallocrates. Par exemple selon Éric Zemmour, le pouvoir est nécessairement phallique et pour Yvon Dallaire : l'homme conquiert le monde parce qu'il est pénétrant.
Misogynie
Sentiment de haine, de mépris ou d'hostilité à l'égard des femmes.
Machisme
Culte de la masculinité, de la virilité, glorification des caractéristiques « masculines » comme étant supérieures.
Virilité
Attribut associé au masculin, associé à la force et au pouvoir.
Queer
Terme anglais signifiant « étrange » et à la base utilisé comme insulte envers les personnes n’entrant pas dans la norme du genre (homosexuel·le·s, transgenres etc.). Le terme a subi un « retournement de stigmate » qui a abouti à la fin des années 80 sur un mouvement politique contestataire. Tout en considérant les identités de genre comme n’ayant rien de naturelles, ce mouvement s’affirme par une revendication identitaire stratégique visant à faire des minorités et des identités sexuelles le lieu de la contestation des normes dominantes.
Identité de genre
Façon dont les êtres humains pensent et ressentent leur identité individuelle par rapport aux deux sexes définis et construits. Assignée dès la naissance et renforcée par la socialisation, elle peut être vécue comme une appartenance exclusive à un sexe (unité entre caractéristiques biologiques et rôles/comportements sociaux), ou entrer en conflit avec celui-ci (et ainsi avoir une identité de genre différente du sexe assigné à la naissance). De plus, hommes féminins et femmes masculines peuvent construire leur identification de façons multiples par rapport à un ordre normatif qui n’est pas invariable.
Transgression de genre
Fait d’adopter des comportements, goûts, manières d’être socialement attribué à l’autre sexe, ce qui constitue une rupture avec l’ordre du genre. Le plus souvent partielles (pratique d’un sport, goûts atypiques…) et n’engageant pas l’intégralité de l’identité de l’individu.
Renforcement différentiel
Fait pour les parents de récompenser et d’encourager davantage les comportements « masculins » des petits garçons et les comportements « féminins » des petites filles. Entraine un processus de sélection à posteriori des conduites conformes plutôt qu’une injonction explicite.
Male Gaze
Plus ou moins traduisible par « regard masculin ». A la base issu de la critique cinématographique puis étendu à d’autres arts visuels (photographie, bande dessinée, publicité etc.) et enfin à l’expérience quotidienne. Désigne le fait d’offrir au regard des spectateurs, supposés hommes (et souvent même aux fantasmes, ceux-ci étant presque toujours présumés hétérosexuels) le corps des femmes. Met les femmes exhibées dans une position d’objet passif, leur corps étant souvent fragmenté, sans visage, réduit à une fonction (voire plus bas : objectivation) pour le bon plaisir visuel des hommes, qui se retrouvent de ce fait dans une position de toute puissance.
Le concept a été depuis étendu à l’expérience de vie quotidienne des femmes, qui savent plus ou moins consciemment être vues et jugées sur leur physique en permanence, au point de l’intérioriser.
Pour aller plus loin :
https://cafaitgenre.org/2013/07/15/le-male-gaze-regard-masculin/ Anne-Charlotte Husson. Le male gaze.
Objectivation
A lieu lorsqu’un être humain (très généralement une femme) voit son corps, des parties de son corps ou ses fonctions sexuelles être séparées de sa personne, vues comme de simples instruments ou considérées comme en mesure de la représenter entièrement. On retrouve ce phénomène dans les relations entre individus (particulièrement dans le regard et les remarques que les hommes font sur le corps des femmes) et dans les médias. Amène les femmes à intérioriser le regard d’autrui sur elles-mêmes et à chercher à contrôler leur apparence : on parle alors d’auto-objectivation, dont les conséquences vont de la diminution des capacités d’introspection et de la capacité à se plonger entièrement dans une tâche avec un sentiment d’accomplissement (on parle de flow) à la dépression et aux troubles du comportement alimentaire.
Pour aller plus loin :
https://antisexisme.net/2013/08/13/objectivation-1-2/
https://antisexisme.net/2014/01/12/lobjectivation-sexuelle-des-femmes-un-puissant-outil-du-patriarcat-le-regard-masculin/
Ces thèmes pouvant être choquants pour des jeunes lecteur·trice·s, il n’est pas autorisé d’en parler sur ce thread (vous pouvez en revanche tout à fait le faire sur le sujet sur le féminisme du salon des grands). Je les définis quand même, parce qu’il s’agit de concepts important voire centraux.
Spoiler (Cliquez pour afficher)
Violence de genre
Ensemble des violences commises par les hommes en tant qu’hommes sur les femmes en tant que femmes. Permet aussi de penser les violences d’hommes contre d’autres hommes vus comme efféminés ou à la virilité défaillante. Elles servent à la fois à punir ceux et celles qui s’écartent de la norme sociale du genre et à reproduire ce dernier.Trouble de Stress Post-Traumatique
Aussi appelé syndrome de stress post-traumatique et parfois abrégé TSPT ou PTSD (pour posttraumatic stress disorder). Trouble anxieux sévère développé suite à un évènement ou une situation où l'intégrité physique et/ou psychologique du patient et/ou de son entourage a été menacée et/ou effectivement atteinte (agression violente, viol, accident, attentat…), et durant laquelle la personne est « mentalement déconnectée » de la réalité, le cerveau se réfugiant dans un « ailleurs » mental pour faire face à une réalité trop atroce pour être intégrée normalement. Se manifeste par de la reviviscence traumatique intrusive (ou flashback, on « revit » physiquement et mentalement la cause du symptôme), qui apparait généralement après un temps de latence (de plusieurs semaines à plusieurs années).
Pour aller plus loin :
https://youtu.be/gQc5tmSP_rg?t=6m11s Violences sexuelles, la sidération psychique. (Avec une interview de Murielle Salmona, psychotraumatologue.)Gaslighting
Forme d’abus mental dans lequel l’information est déformée, omise sélectivement pour favoriser l’abuseur, ou faussée dans le but de faire douter la victime de sa mémoire, de sa perception et de sa santé mentale.Culture du viol
Concept établissant un lien entre le viol et les violences de genre et la culture où ils ont lieu, et dans laquelle ce dernier (et les violences sexuelles et de genre en général) sont niées, minimisées, excusées voire encouragées, où l’on nie le non consentement et blâme la victime. Ces justifications sont appelées mythes sur le viol.
Pour aller plus loin :
http://www.cultureduviol.fr/culture-du-viol-definition/ C’est quoi, la culture du viol ? Gaëlle-Marie Zimmerman
https://antisexisme.net/2013/01/09/cultures-du-viol-1/ Cultures enclines au viol et cultures sans viol (1) : les études interculturelles
https://antisexisme.net/2013/02/17/les-cultures-enclines-au-viol/ Cultures enclines au viol et culture sans viol (2) : le cas de la culture occidentale
https://antisexisme.net/2011/12/04/mythes-sur-les-viols-partie-1-quels-sont-ces-mythes-qui-y-adhere/ Mythes sur le viol (1) : Quels sont ces mythes ? Qui y adhère ?
https://antisexisme.net/2012/01/31/les-mythes-autour-du-viol-et-leurs-consequences-partie-3/ Mythes sur le viol (3) : Les mythes sur le viol restreignent la liberté des femmes.Harcèlement sexuel
Pression exercée sur une personne pour obtenir des faveurs sexuelles ou pour rabaisser ses caractéristiques sexuelles (orientation sexuelle, physique etc.).Slut-Shaming
Ensemble d’attitudes, individuelles ou collectives, visant à blesser ou humilier les femmes en raison de la manière dont elles s’habillent, se maquillent, du nombre de garçons qu’elles fréquentent (intimement ou non) ou du fait qu’elles aient été victimes de violences de genre. Dans ce cas, il est utilisé pour faire porter à la victime la responsabilité du délit ou du crime commis contre elle. Dans tous les cas, il s’agit d’une épée de Damoclès punissant les femmes vues comme trop « libérées » moralement.
Pour aller plus loin :
https://cafaitgenre.org/2013/07/09/le-slut-shaming/ Anne Charlotte Husson, doctorante en étude de genre.Continuum des échanges économico-sexuels
Concept crée par l’anthropologue Paola Tabet. Il permet de saisir dans la même expression les relations et interactions possibles entre hommes et femmes où les sentiments, la sexualité et l’argent sont échangés dans un cadre inégalitaire et dominé par les hommes, y compris dans le mariage. Permet de pointer l’importance des échanges économiques et l’inégalité au-delà de cas stigmatisés comme celui de la prostitution.
Plafond de Verre
Désigne le fait que, dans une structure hiérarchique, les plus hautes places (et donc les plus prestigieuses et les mieux payées) sont tacitement interdites ou en tout cas bien plus difficiles d’accès pour certaines catégories de la population (femmes, personnes de couleur, homosexuel·e·s…).
Pour aller plus loin :
https://dessinonslasciencepo.com/2015/01/12/152/ Expliquer le plafond de verre. Dessinons la science po.
http://www.scienceshumaines.com/peut-on-en-finir-avec-le-plafond-de-verre_fr_22408.html Peut-on en finir avec le plafond de verre ? Magazine Sciences Humaines.
http://www.alterecoplus.fr/en-direct-de-la-recherche/ces-femmes-qui-percent-le-plafond-de-verre-201604110700-00003294.html Ces femmes qui percent le plafond de verre. Alternatives économiques.
Menace du stéréotype
Décrit l’effet qu’un stéréotype peut avoir sur une personne visée par celui-ci. Dans certaines situations, un individu peut avoir l’impression d’être jugé au travers d’un stéréotype visant son groupe, ou avoir peur d’avoir un comportement venant confirmer ledit stéréotype. Peut entrainer une baisse des résultats de l’individu. Par exemple, si l’on prend le cliché disant que les filles sont moins bonnes en maths que les garçons : si l’on fait passer un même test à des filles et des garçons en le présentant dans un groupe comme un test de géométrie et dans l’autre comme un test de mémorisation, les filles du premier groupe auront des résultats inférieurs.
Pour aller plus loin:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Menace_du_st%C3%A9r%C3%A9otype Menace du stéréotype, article Wikipédia (de qualitay)
Care
Mot anglais renvoyant à tout le travail de soin et de prise en charge des enfants, des personnes âgées et des adultes dépendants (malades, handicapé·es etc.), et ce quel que soit ses conditions de réalisation (salarié, au sein de la famille, sur une personne extérieure…)
Division sexuée du travail
Désignait à la base l’assignation des hommes au travail productif, et des femmes au travail reproductif. A cette séparation s’ajoute un principe hiérarchique : les travaux des hommes « valent » plus, sont plus reconnus socialement et économiquement. Ce rapport de pouvoir a conduit les féministes matérialistes à la théoriser comme l’un des nœuds essentiels de l’oppression des femmes.
Sexage
Néologisme popularisé par Colette Guillaumin dans les années 70. Désigne à la fois l’exploitation économique des femmes par les hommes, mais aussi par l’appropriation de ces dernières de manière totale, c’est-à-dire non limitée et non rémunérée, notamment au sein de l’institution qu’est le mariage. Selon l’autrice, le sexage serait à l’économie domestique ce que le servage était à l’économie foncière au Moyen-Âge.
Discrimination directe
Désigne une différence de traitement (refus de vente ou de location, refus de poste, salaires moindres, « mise au placard » …) pour un motif prohibé (le sexe par exemple).
Discrimination indirecte
Désigne une norme ou une pratique apparemment neutre mais qui induit des conséquences systématiquement défavorables pour un groupe (exemple : un traitement différent réservé aux travailleur·euse·s à temps plein et à temps partiel qui peut défavoriser systématiquement les femmes)
Empowerment
Aussi parfois appelé autonomisation. Désigne la façon dont les individus accroissent leurs habilités favorisant l’estime de soi, l’initiative et le contrôle. Désigne aussi un processus social de reconnaissance, de promotion et d’habilitation des personnes dans leurs capacités à satisfaire leurs besoins, à régler leurs problèmes et à mobiliser les ressources nécessaires afin de se sentir en contrôle de leurs propres vies.
Katz le définit également comme une manière de voir le monde où les individus sont inter-reliés, où il y a partage de ressources et incitation à la collaboration. Cela demande un effort individuel, encouragé par la collaboration et le changement d’environnement.
Pour les féministes, l’empowerment désigne un processus individuel et collectif qui implique à la fois une prise de conscience et le développement d’une force politique et, par conséquent, d’une capacité d’agir de manière autonome individuellement et collectivement pour obtenir l’égalité sociale.
A l’inverse, le disempowerment consiste à rendre une personne ou un groupe moins puissant ou moins confiant, ou de le priver d’autorité et de pouvoir.
Pour aller plus loin :
http://1libertaire.free.fr/PuissancedeSoi.html Empowerment : appropriation ou réappropriation de son pouvoir
Sororité
Traduit de l’anglais sisterhood par les féministes dans les années 70 (lui-même fabriqué en réaction au terme brotherhood par les féministes américaines). Équivalent féminin de « fraternité », il désigne la solidarité entre femmes qui se sentent des affinités, des similitudes et des vécus semblables car partageant la même condition féminine et ayant donc de ce fait le même statut social dans les rapports de genre.
Androcentrisme
Qualifie tout phénomène (discours, système…) ayant pour point de référence les expériences et perspectives sociales des hommes. Est souvent masqué derrière l’apparente neutralité et universalité du masculin.
Théorie de la connaissance située
Développée par certaines approches postmodernes des discours en sciences sociales, cherchant à intégrer l’expérience individuelle dans la constitution des savoirs. Très utilisée dans la théorie féministe socialiste relative aux politiques de l’identité.
Masculinité hégémonique
Selon Raewyn Connell, l’ordre du genre produit non seulement une hiérarchie entre les femmes et les hommes, mais également entre ces derniers. La masculinité hégémonique désigne alors le modèle de masculinité socialement et symboliquement dominant dans un contexte donné. Elle se construit à la fois comme une opposition au féminin et à la féminité mais aussi à des masculinités qui lui sont « subordonnées ». La subordination entre la masculinité hégémonique et les autres est l’expression des rapports de classe, de race* et de sexualité qui traversent la société en général et le groupe des hommes en particulier.
*Il ne s’agit évidemment par de parler de « race » au sens biologique, mais des catégories inférieures socialement crées par le racisme (au nom d’une soit disant infériorité biologique, culturelle puis religieuse : voir Frantz Fanon).
Intersectionnalité
Concept forgé par la juriste Kimberlé W. Crenshaw à la fin des années 80 pour décrire les dilemmes stratégiques et identitaires rencontrés par certaines catégories de personnes subissant des formes combinées de domination aux USA, et en particulier les femmes noires. A permis de remettre en cause le monopole de la représentation de certains groupes subordonnés par des groupes dominants sous d’autres rapports (hommes noirs pour les luttes antiracistes, femmes blanches des classes moyennes pour les luttes féministes…) qui présentaient alors des propriétés perçues comme « neutres ». Le mot a été repris par les sciences sociales pour désigner la recherche empirique d’analyse de l’imbrication des rapports sociaux de domination.
Sources et travaux utilisées (en plus de ceux déjà cités):
Introduction aux études sur le genre : 2e édition
Cours de premier cycle de science politique de l’UQAM : Féminisme et antiféminisme.
Les féminismes ?
Je l’ai rapidement évoqué, mais le féminisme est un mouvement divers. TRÈS divers. Il existe en son sein de nombreuses manières d’analyser les inégalités entre les femmes et les hommes et donc de très nombreux courants, qui parfois s’excluent mutuellement d’ailleurs (vous ne pouvez pas être à la fois matérialiste ET différentialiste par exemple).
Pour être à peu près sûre de ne rien oublier (et de ne pas dire d’âneries plus grosses que moi sur certains courants que je connais mal), je vais prendre comme base le cours de première section de Louise Toupin, chargée de cours en études féministes (car oui, le féminisme est un courant de la recherche), sobrement intitulé «Les courants de pensée féministe» ainsi que l’ouvrage Introduction aux études de genre, 2e édition, paru chez De Boeck et à destination des chercheur·euse·s et étudiant·e·s de premier et deuxième cycle en sociologie, anthropologie, philosophie, histoire ou sciences politiques.
Évidemment, il ne s’agit pas de la seule manière de « trier » le mouvement féministe, et ce qui suit est donc parfaitement critiquable. Je précise aussi que cette classification ne veut pas dire que toutes les féministes de ces « blocs » sont d’accord entre elles : il existe là aussi des distensions.
Il est également important de noter qu’il ne s’agit pas de catégories figées dans le temps et la glace : bien que divergeant sur certains points, ces courants communiquent entre eux et se « volent » des analyses et des réflexions.
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Féminisme libéral égalitaire, aussi appelé féminisme des droits égaux ou féminisme réformiste
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Héritier de l’idéologie et de l’incarnation économique de la Révolution Française que sont le libéralisme et le capitalisme. La liberté et l’égalité individuelle sont ses deux principaux axes de lutte.
Le féminisme libéral va donc s’attacher particulièrement à l’obtention de l’égalité dans la loi et dans le droit, qu’il s’agisse du droit politique (droit de vote…), des lois criminelles (retrait des lois discriminatoires) et des droits civils (capacités juridiques pleines et entières…). Pour elles, l’égalité des droits permettra aux femmes de participer pleinement à la société, à égalité avec les hommes.
Attention cependant, il ne s’agit pas du seul type de féminisme à réclamer de tels droits. La distinction se fait au niveau de l’identification des causes de la subordination des femmes et des stratégies de changement.
Causes de la subordination
Comme le féminisme libéral épouse globalement la philosophie libérale (/captain obvious), il pense le capitalisme réformable et perfectible ; ce dernier serait seulement mal adapté aux femmes, qui seraient victimes de discriminations au sein de ce dernier. La cause de ces dernières se trouve dans le fait que les femmes sont socialisées d’une manière différente des hommes, ce qui s’explique par des préjugés, des stéréotypes et/ou des mentalités rétrogrades. Ces obstacles à l'égalité se trouvent à peu près partout, de l’école à la famille en passant par le monde politique et le travail.
Stratégies de changement
Pour les féministes libérales, c’est l’éducation non-sexiste qui permettra de changer les mentalités et donc la société : il s’agit de socialiser les femmes d’une manière différente. Les autres moyens d’actions sont des pressions pour faire changer les lois discriminatoires, notamment via des colloques pour informer le public, la formation de coalitions et de lobbys etc.
Le féminisme libéral subit tout de même l’influence des autres mouvements de la pensée féministe, notamment en reconnaissant le caractère « systémique » de l’oppression des femmes par exemple dans l’analyse de l’inégalité salariale, qui provient des courants marxistes et radicaux. Il s’agit du courant à la fois le plus présent médiatiquement et le plus modéré au niveau de la volonté de transformation sociale.
Exemples de féministes libérales : Olympe de Gouges, Hubertine Auclert, Elisabeth Badinter (même si elle n’est plus considérée comme féministe par pas mal de ses pairs), collectif La Barbe…
Le féminisme de tradition marxiste
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Lors de l’effervescence sociale du début des années 1970, le mouvement féministe connaitra un second essor et se verra obligé de prendre en compte la pensée de Marx, très prégnante à cette époque. Que ce soit pour se situer en son sein, pour s’en démarquer, ou pour en contester les fondements.
Exemple de féministe marxiste : Silvia Federicci
Le féminisme marxiste orthodoxe
Pour ce mouvement, c’est le capitalisme qui est à l’origine de l’oppression des deux sexes, et l’oppression des femmes serait apparue en même temps que la propriété privée. Le besoin de transmettre son héritage et donc d’être certain de sa descendance a rendu nécessaire l’institution du mariage monogamique : c’est ainsi que les femmes furent mises sous le contrôle de leur mari, réduites au foyer et à la sphère privée, et donc sorties de la production sociale.
De ce fait, pour les féministes marxistes orthodoxes, le patriarcat est un sous-produit du capitalisme et disparaitra en même temps que lui. Il s'agit donc d'une cause secondaire de l’oppression des femmes, qui s’exerce principalement dans la sphère économique.
Stratégies de changement
Pour les féministes marxistes orthodoxes, l’oppression des femmes disparaitra en même temps que le capitalisme, et il faut donc œuvrer à la destruction de ce dernier. En effet le remplacement de la propriété privée par la propriété commune, et donc la prise en charge collective du travail ménager et de l’éducation des enfants aboutira à l’éclatement de la famille nucléaire classique, qui tombera en désuétude.
Pour aboutir à cet état, il est nécessaire d’insérer les femmes dans la production sociale (donc dans le travail salarié) et dans la lutte des classes, côte-à-côte avec leurs camarades hommes. Le féminisme à proprement parler n’a pratiquement aucune place, et peut même être considéré comme nocif puisque divisant les travailleur·euse·s et luttant « contre les hommes ».
Les réformes ne sont pas pour autant mises de côté : si elles suivent sur ce point les féministes libérales (travail, contrôle des naissances, droits civiques et pénaux etc.) leur objectif final diffère, puisqu’elles cherchent à mettre en évidence les contradictions du système économique afin de le détruire.
De plus, les féministes marxistes orthodoxes refusent généralement de s’inscrire dans la mouvance féministe qu’elles considèrent comme un mouvement individualiste et bourgeois, allant contre les intérêts de la classe ouvrière et étant donc à combattre.
Les lacunes du féminisme marxiste entraineront des modifications de ce dernier, généralement mal connues. Alors que tout ce qui touche au marxisme passe pour dépassé dans le monde occidental, de nombreuses femmes, du tiers-monde notamment, continuent de se servir du concept de classe sociale pour analyser leur situation, tout en l’adaptant à leur pays.
Métamorphoses
Féministe socialiste (socialisme en tant que courant de pensée, rien à voir avec les différents partis socialistes)
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Le féminisme socialiste se distingue du marxisme orthodoxe, car il accorde une importance égale à l’oppression des femmes (le patriarcat) et au capitalisme pour expliquer la subordination de ces dernières et tente d’étudier comment les deux systèmes s’articulent entre eux.
Avec le temps, les explications unifiées de l’exclusion des femmes se verront délaissées, et les autres systèmes de domination (hétérosexisme, racisme, validisme, classisme etc.) seront de plus en plus être pris en compte.
Ce courant essaie de créer une théorie féministe globale, prenant en compte toutes les formes d’oppressions que subissent les femmes.
D’autres abandonneront l’idée d’une transformation systémique globale, réduisant « le social » à des représentations, et rejoindront les rangs des post-modernistes.
Féminisme populaire
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On regroupe par cette appellation le militantisme des femmes pauvres notamment du tiers-monde et qui, bien que ne se revendiquant pas toujours de la tradition féministe, ont des pratiques et des visions qui permettent de les y raccrocher.
La pratique de ce féminisme est enracinée dans le quotidien, et s’organise au sein des conditions de survie des familles et des communautés. Ces mobilisations constituent des lieux extrêmement importants d’affirmation et de réappropriation du pouvoir de ces femmes.
Ce type de militantisme a toujours côtoyé le mouvement féministe « classique » de manière parallèle, et ces racines peuvent être remontées jusqu'aux révoltes populaires où la population, au premier rang desquelles se trouvaient des femmes, réclamaient du pain et du blé.
Pour ces femmes, qui vivent l’appauvrissement au quotidien et dont les perspectives de subsistance ne sont pas forcément assurées, le sexisme et le patriarcat ne sont qu’une des formes de l’oppression des femmes et un féminisme « classique » ne saurait y mettre fin. En effet la pauvreté due à un système économique basé sur le profit, le racisme, l’exclusion ect. doivt être prise en compte pour les libérer de leur condition, et l’égalité entre les sexes doit s’accompagner de changements sur d’autres fronts.
L’un des grands apports de ce féminisme est la prise en compte de la globalité de ce qui opprime les femmes, et de comment les autres systèmes d’injustices s’articulent et se lient entre eux. Il a également permis la reconnaissance d’une multitude de féminismes à travers le monde, qui lient toutes les formes de lutte et leurs protagonistes. Ce mouvement a permis un appel à la solidarité féministe internationale, allant au-delà du simple accès au droit.
Courant salaire contre travail ménager
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Né de l’ouvrage Le pouvoir des femmes et la révolution sociale publié en 1972 et rapidement traduit en plusieurs langues de part et d’autre de l’Atlantique. Il s’agit d’une des premières tentatives d’appliquer l’analyse marxiste à la condition des femmes.
Bien que ce mouvement ait eu une existence temporelle assez brève, il a jeté les bases théoriques de la reconnaissance du travail invisible des femmes et des analyses qui tentent de visibiliser ce dernier
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Alors que les marxistes orthodoxes s’intéressent à la production de marchandises, ce courant s’intéresse à la reproduction des êtres humains. Ce travail, effectué dans la famille et le foyer majoritairement par les femmes, est la clef de voute de la reproduction humaine. Non seulement elles produisent ce qu’il y a de plus précieux (la vie d’un nouvel être), mais permettent en plus au reste des êtres humains de « fonctionner » : aux hommes de travailler, aux enfants d’être éduqués, aux malades et aux vieillards d’être soignés. Les femmes s’occupent de l’entretien matériel et immatériel (affectif) des humains.
Or, ce travail domestique est le lieu de l’exploitation des femmes, car il est effectué gratuitement et dans la dépendance économique. Il s’agit du plus petit dénominateur commun entre toutes les femmes de tous les pays, et détermine la place des femmes société et leur classe. Afin de briser ce rôle de ménagère, ces féministes proposent la stratégie du salaire contre le travail ménager.
Si cette stratégie n’a pas été reconnue, ses effets sont tout de même visible à travers la reconnaissance des travailleuses au foyer dans certains pays, du rôle du conjoint chez les agriculteurs ou des femmes associées avec leur conjoint dans une entreprise, ainsi que des services sociaux effectués massivement par les femmes.
Le féminisme radical
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Né à la fin des années 60, le féminisme radical constitue LA grande rupture avec le féminisme libéral et le féminisme marxiste. « Radical », en voilà un mot qui fait peur. Il ne s’agit bien entendu pas de transformer les bijoux de famille de ces messieurs en bijoux tout court, mais de remonter à la racine de l’oppression des femmes et du système social des sexes, appelé patriarcat.
Il s’agit également de proposer une toute nouvelle explication des rapports entre les hommes et les femmes, étrangère aux explications libérales et marxistes, que ce soit sur le plan de la pensée ou sur le plan de l’action.
Le féminisme libéral, à cause de la superficialité de ses analyses, et le marxisme (au moins en partie) à cause de son incapacité à penser la condition des femmes hors de la classe de leur mari et de son refus de mettre les femmes au centre de la lutte pour leur propre émancipation.
Il ne s’agit cependant pas d’un courant homogène, au point que parler de féminisme radical orthodoxe est un non-sens. Leur seul point commun est une conviction : l’oppression des femmes est fondamentale, irréductible à quelconque autre oppression et traverse toutes les sociétés, les races (au sens sociologique) et les classes. A partir de ce constat commun, les courants divergent.
Causes de la subordination
L’ennemi principal ne se situe ni dans les préjugés ni dans la loi comme le pensent les féministes libérales, ni dans le système économique comme le pensent les marxistes, mais dans un système autre, qu’elles nommeront le Patriarcat.
Pour elles, il s’agit de la première cause de l’oppression des femmes, tandis que le capitalisme arrive second. La cause de la subordination devient le pouvoir des hommes, en tant que classe de sexe, sur la classe des femmes. Ce dernier se manifeste par le contrôle du corps des femmes, notamment dans la maternité et la sexualité et le premier lieu où le pouvoir s’exerce est la famille, même si le reste de la société (politique, économique et juridique...) n’est pas en reste.
De la même manière que pour les classes sociales, le patriarcat est un véritable système social des sexes, ayant chacun deux cultures distinctes : la culture masculine, dominante, et la culture féminine, dominée.
Stratégies de changement
L’objectif ultime du féminisme radical est le renversement du patriarcat, qui passe par la réappropriation des femmes sur leur propre corps. Plusieurs stratégies sont envisagées, de la création d’une culture féminine « alternative » (créations d’espaces féminins comme les centre de santé, les maisons d’hébergement pour les femmes victimes de violences, des maisons d’édition, des magazines, des librairies etc. destinées aux femmes) au séparatisme (vie entre femmes lesbiennes et célibataires uniquement) en passant par l’offensive directe contre le patriarcat (manifestations contre la pornographie, les concours de beauté, les mutilations sexuelles, les déploiements militaires etc.).
La recherche d’alternatives sociales féministes et leur mise en pratique contribua beaucoup à l’essor du féminisme radical, axé sur les solutions et la concrétisation de l’utopie féministe, ici et maintenant.
Métamorphoses
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Le mouvement radical ayant connu et connaissant encore de nombreuses mutations et s’étant emparé de nombreuses disciplines et de nombreux territoires, sa classification sera forcément parcellaire et approximative. Il s’agit donc plus d’une boussole que d’une carte, d’une suite de point de repères pour capter une dynamique que d’un mode d’emploi.
Ce courant évolue sur un continuum, dont les positions théoriques s’échelonnent entre deux pôles, selon l’importance que l’on accorde à la « biologie » ou au « social » dans l’explication de l’oppression des femmes. Plus on croit cette différence « naturelle », plus on se situe vers le pôle de la fémelléité, plus on a la conviction que cette différence est sociale, plus on se situe vers le pôle matérialiste.
Dit autrement, ce courant se divise sur les causes de la différence : Est-elle d’abord biologique et psychologique, ou d’abord sociale et créée par la société ?
Les réponses à ces questions provoquera une complexification du courant radical, qui éclatera en plusieurs tendances : radical de la différence, allant de la spécificité à la fémelléité, puis en réaction à celle-ci (qui est d’ailleurs parfois qualifié de néo-féminité) naitra le féminisme matérialiste.
Parallèlement à ces métamorphoses des critiques centrales viendront ébranler l’ensemble des traditions de pensée du féminisme : la critique de l’hétérosexualité comme pierre angulaire du patriarcat, effectuée par les féministes lesbiennes, et la remise en question même de l’idée de différence féminine, qui cache les différences de toutes sortes traversant le groupe des femmes, né au sein du féminisme noir.
Exemples de féministes radicales : Andrea Dworkin, Christine Delphy, Nicole Claude-Mathieu, Colette Guillaumin.
Féminisme de la spécificité et de la fémelléité
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Avant toute chose, il est nécessaire de rappeler que, pour les féministes radicales, l’expression première du patriarcat se manifeste dans le contrôle du corps des femmes.
Le courant de la spécificité axera ainsi son action sur la réappropriation de leur corps par les femmes. Pour cela, elles mettront l’accent sur la santé de ces dernières, sur le combat contre les violences sexo-spécifiques, ainsi que sur la mise en place de structures allant dans ce sens. Elles réfléchiront également sur le sujet des nouvelles technologies reproductives.
Il s’agit de mettre en place des îlots d’émancipation et d’expérimentation sociale, permettant le questionnement de la « différence », de l’éthique et de l’identité féminine.
Le courant de la fémelléité reprend et approfondit cette idée de la différence, en transformant la réappropriation de son propre corps en identification à celui-ci.
Né des théories psychanalytique françaises et des critiques qui lui sont adressées autour de 1975, il préfèrera parler de « différence commune » plutôt que d’ « oppression commune ».
Ainsi, cette mouvance croit en l’existence d’un pouvoir, d’un territoire, d’un savoir et d’une éthique féminine.
Contrairement aux égalitaristes et aux radicales, elles visent la reconnaissance de la différence, de la féminité et du féminin comme territoire spécifique du savoir-pouvoir des femmes, ce dernier devant être protégé de l’emprise patriarcale et de la subordination aux valeurs marchandes.
Elles revendiquent la réappropriation de la maternité, de l’acte de (pro)création, de la culture et de l’imaginaire féminin que ce soit au niveau du corps ou des idées. Le féminisme de fémelléité se veut être la charnière entre la psychologie et la biologie, et être lié à l’expérience des corps.
Féministe radical matérialiste
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Le féminisme matérialiste est né de la critique à la fois du féminisme marxiste et du féminisme radical, et constitue une nouvelle tentative de combinaison de ces deux mouvements, différent du féminisme socialiste.
Il est composé de plusieurs sous-courants, qui correspondent généralement aux frontières des pays où ils sont nés.
Par exemple, le féminisme matérialiste français (qui fut le premier, et dont les bases furent posé dans la revue Nouvelles Questions Féministes (NQF)), tout en critiquant profondément le marxisme, en conserve la méthode (le matérialisme, qui donnera son nom au mouvement) et certains concepts pour comprendre l’oppression des femmes, mais en leur donnant un contenu différent.
Ainsi, les rapports entre les sexes sont vus comme des rapports de travail et des rapports d’exploitation. La force de travail des femmes et leur corps même sont appropriés par les hommes, qui en sont les premiers bénéficiaires : les hommes et les femmes forment des classes de sexe.
Ce courant cherche à dépasser le clivage sexe/ classe pour appréhender le caractère spécifique de l’oppression des femmes : l’appropriation de la classe des femmes par celle des hommes, dont la base économique se situe dans le mode de production domestique. A la différence des féministes socialistes, on ne pense plus en termes de classe d’un côté et de sexe de l’autre, mais de « système social des sexes ».
Comme dit plus haut, ce courant est né en réaction au féminisme de la fémelléité, issu de la psychanalyse. En effet pour les matérialistes la différence des sexes n’est rien d’autre que la hiérarchie des sexes : l’idée de différence féminine fut créée par la classe des hommes pour asservir les femmes.
L’oppression des femmes est à chercher dans les rapports sociaux de sexe, et non dans la psychologie ou la physiologie des femmes : la lutte doit se faire à la racine sociale de la différence : les déterminants historiques et sociaux.
Renouvellement des perspectives et rencontre avec d’autres influences
Afroféminisme
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Durant les années 70, les militantes du black feminism apportèrent une critique fondamentale aux mouvement féministes marxistes et radicaux. En effet, loin d’expliquer leur oppression uniquement par le sexisme et le capitalisme, elles y ajoutèrent également sur le racisme qui emplissait leurs vies.
Grâce à elles, l’oppression des femmes ne s’est plus uniquement articulée sur le duo sexe / classe, mais sur le trio classe / sexe / race auquel on ajoute souvent l’orientation sexuelle, une part non négligeable de ces militantes étant lesbiennes
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Les féministes noires ont contribué à faire éclater la notion de « différence commune » entre toutes les femmes, « la » différence en cachant en réalité une multitude.
Exemples de féministes noires : Bell Hooks, Angela Davis, Elsa Dorlin.
Perspectives lesbiennes
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Les lesbiennes ont toujours été nombreuses dans les luttes féministes, et ont participé à chacune d’entre elles.
Les premiers mouvements revendiquant publiquement l’existence du lesbianisme au sein du mouvement homosexuel (les « Daughters of Bilitis » aux USA dans les années 50/60) avaient beau être dans une perspective libérale, des féministes lesbiennes radicales (au sens américain ici : pour le séparatisme) firent leur apparition dans les années 70.
Poussant la logique matérialiste à son maximum, certaines estimèrent que, si les sexes sont bien des classes, alors les rapports sexuels et matrimoniaux entre hommes et femmes sont, de fait, de la collaboration de classe. Partant de là, le lesbianisme devenait un moyen de devenir des transfuges, à la manière des esclaves en fuite. Cherchant à obtenir l’autonomie de leur groupe de tout autre groupe non-lesbien, ces femmes entendaient créer une culture autonome, hors de la société actuelle.
D’autres estimèrent, non sans ironie, que la Nation Lesbienne était en accord avec la Nation Patriarcale sur l’idée de « La Femme » (et donc de son opposé, les lesbiennes comme n’étant pas des femmes), et donc considérèrent que le nationalisme lesbien, en plus d’être inapplicable, abandonnait la notion de femme au patriarcat et donc quittait la lutte plutôt que de la mener. De plus, les rapports sexuels ne sont qu’un des foyers parmi bien d’autres (politique, travail salarié…) de l’oppression des femmes, et cette manière de penser ne permet pas de rompre le lien existant entre sexualité et oppression sociale : il ne permet pas de sortir des catégories de sexe.
Globalement nous devons aux féministes lesbiennes, tous courants confondus, certains ajouts au sein du courant salaire contre travail ménager, et notamment le fait de considérer les rapports intimes comme du travail des femmes au sein du couple, ou encore le fait de considérer l’hétérosexualité comme une institution au centre des rapports de domination entre les hommes et les femmes.
De ce fait, elles contribuèrent à la remise en question du caractère naturel et immuable de l’hétérosexualité comme modèle d’organisation entre les humains, et donc à la rupture du schéma de pensée naturaliste par lequel on pensait jusque-là le sexe, le genre et l’hétérosexualité.
Les féministes lesbiennes appartiennent à toutes les catégories de féminisme énoncées précédemment : radicales, matérialistes, libérales, marxistes.
Exemples de féministes lesbiennes : Monique Wittig, Adrienne Rich, Audre Lorde.
Mouvements Queer
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Issu des études universitaires gaies et lesbiennes, la critique Queer prend forme dans les années 90. Prenant la plupart des mouvements qui l’ont précédé à rebrousse-poil, l'objectif de ces derniers étant de simplement défendre le droit des femmes et des homosexuel·e·s à vivre leurs vies de la même manière que les dominants, le mouvement Queer a cherché à construire des identités minoritaires comme des outils de critiques et de déconstruction politiques des normes majoritaires.
L’objectif n’est plus de revendiquer une simple égalité au sein d’une société constituée de dominants et de dominés, de « normaux » et « d’anormaux », mais de positionner les minorités dans une stratégie de lutte et de critique, qui dérange l’aspiration égalitaire à une vie aussi paisible que celle de la majorité.
Que ce soit en montrant que les identités transgenres remettent en cause l’idée d’une relation naturelle entre le sexe et le genre, en considérant l’homosexualité autrement que comme une nature distincte de l’hétérosexualité mais plutôt comme une contradiction au cœur de cette dernière, ou encore en mettant en évidence les incohérences des normes majoritaires elles-mêmes, la critique Queer a opéré un mouvement de re-politisation de la dissidence sexuelle.
Sur le plan théorique, les auteur·trice·s ont fait la promotion d’une politique anti-essentialiste, revendiquant certes une identité, mais tout en considérant que celle-ci n’est pas stable, et que sa construction ne répond qu’à des considérations stratégiques. Autrement dit, plutôt que de revendiquer une identité sur la base d’une homosexualité pensée uniquement comme une attirance « différente », les stratégies Queer placent en leur cœur une identité d’opposition et de combat, mobilisée par rapport et contre la norme dominante.
Les tactiques politiques et les théories Queer se démarquent à la fois du mouvement homosexuel majoritaire et du féminisme hérité des années 70.
En effet jusque-là la stratégie du mouvement gay « traditionnel » était de visibiliser les homosexuels et leur mode de vie dans l’espace public, et non de prôner une forme de subversion basée sur l’identité homosexuelle.
Pour ce qui est du féminisme, le Queer représente une manière de faire de la théorie et de la politique en ne s’inscrivant pas dans un scénario hérité du marxisme révolutionnaire (avec la séquence oppression / révolution / abolition / éradication en gros) mais en étant plus modestement dans une logique de résistance micro-politique, cherchant à se détacher, se réapproprier et redonner un nouveau sens des ressources identitaires afin de les exploiter pour les dépasser.
Exemples de féministes Queer : Judith Butler, Monique Wittig, Marie-Hélène/Sam Bourcier.
Il existe bien d’autres courants, parmi lesquels on peut citer le féminisme environnementaliste, le féminisme pro-sexe, l’anarcha-féminisme, le post-féminisme ou encore le féminisme lié à une religion (féminisme musulman, féminisme chrétien, féminisme juif…) mais ça commençait à faire vraiment beaucoup, du coup on va s’arrêter là.
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Dernière modification par Evelirune (Le 21-01-2017 à 17h59)